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Méditation

Du repentir d'une nation,

Alexandre Soljénitsyne


« Qu’il soit facile ou difficile d’inférer de l’individuel au social, toujours est-il que la difficulté est certainement extrême lorsque la qualité morale souhaitée pour un peuple est presque entièrement récusée par les individus eux-mêmes. C’est le cas du repentir.

 

Le don du repentir, qui est peut-être ce qui différencie le plus l’homme de l’animal, a été aliéné par l’homme contemporain. C’est une désaffection, c’est un décri universels ; l’influence du repentir est certainement de plus en plus imperceptible sur notre terre. Le repentir est une valeur que notre siècle enragé et affolé a égarée. Alors comment transférer à une société ou à une nation ce qui est inexistant au plan de l’individu ? (…)

Quel tribut spectaculaire et écrasant l’humanité n’a-t-elle pas déjà payé pour avoir toujours et partout préféré dénigrer, dénoncer et détester les autres plutôt que se dénigrer, se dénoncer et se détester soi-même. Mais, contre toute évidence, nous persistons en cette fin du XXe siècle à ne pas vouloir voir ni admettre que la ligne de démarcation entre bien et mal ne passe pas entre les pays, entre les nations, entre les partis, entre les classes, ni même entre les individus bons ou méchants : cette frontière traverse les nations, traverse les partis, elle est continuellement mouvante.

 

Elle traverse le cœur de chaque homme, mais là non plus le fossé n’est pas creusé à tout jamais ; selon les actes de l’homme, elle change avec le temps. (…) Le repentir est le premier arpent de terre ferme sous nos pieds d’où nous puissions repartir non vers d’autres haines, mais vers la concorde. Il n’y aura pas de redressement moral sans repentir de tous. De chaque homme en particulier. Et de chaque famille idéologique.

Les nations sont des formations vivantes, accessibles à tous les sentiments moraux et même – quoiqu’il en coûte- accessibles au repentir.

 

Car « une idée morale a toujours présidé à la naissance d’une nation », écrit Dostoïevski (Le Journal d’un écrivain). « Lorsque, dans les siècles suivants, cet idéal spirituel se délabre dans la nation qu’il a fait naître, alors cette nation elle-même s’écroule, avec tous ses règlements et idéaux civiques. » Comment donc pourrait-on priver une nation du droit au repentir ? »

 

Alexandre Soljénitsyne, « Du repentir et de la modération comme catégories de la vie des nations » Des voies sous les décombres, Paris, Seuil, 1975, p.112-114

http://www.laneuvaine.fr/du-repentir-et-de-la-qualite-morale-dune-nation/

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